Six personnages en quête d'auteur

(1921)

de Luigi Pirandello (1867-1936)

Six personnages surgissent sur un plateau, troublant une répétition en cours et prétendant avoir été abandonnés par leur auteur… La scène devient un espace où ils veulent pouvoir revivre leurs drames intérieurs, sous les yeux d’un directeur de théâtre partagé entre le désir de suivre ces personnages insolites jusqu’au bout de leur douloureuse folie et la volonté de marquer le pouvoir et de dicter les règles. Ils inciteront ce directeur à leur laisser jouer cette histoire, insatisfaits d’être imités par d’autres. Le directeur devient le personnage-clef qui mène le ballet entre illusion et réalité, comédiens et usurpateurs, celui qui échafaude et défait des équilibres fragiles et complexes.

Pirandello invite le spectateur à assister à ce qui lui est généralement caché : ce qui se passe sur une scène lorsque la salle est vide; ce qui se passe dans l'esprit du metteur en scène aux prises avec des personnages qui lui sont confiés; et plus encore, tout ce qui se passe dans le cœur d'un auteur lorsque s'imposent à lui des personnages, et qu'il les sent plus forts qu'il n'est. L'oeuvre propose une réflexion sur la création artistique et une exaltation du pouvoir de l'art. Comment ne pas être troublé par les thèmes soulevés par Pirandello : le refus des apparences, l'incertitude devant toute identité, toute permanence qui nourrissent une confusion quasi magique. En bref, tout est douteux, sauf l'imaginaire; tout est suspect, sauf le jeu. À travers la lutte de ces personnages pour faire valoir l’intérêt de leur histoire, apparaissent les antagonismes, les rancoeurs, les objectifs divergents de chacun. En impliquant peu à peu comédiens et directeur de la compagnie, le plateau devient un espace où la frontière entre le réel et la fiction n’est plus qu’illusion. Les personnages qui ne sont pas seulement en quête d’auteur, mais de la totalité du théâtre. Tout le théâtre doit se mettre à leur service, être vampirisé par leur existence, par leur drame violent qui n’est même pas consommé, ce drame qu’il faut répéter pour le faire advenir.

Le monde du théâtre devient comme le lieu de la fabrication de tous les possibles : de l’inceste à peine déguisé à la mort violente des innocents. Cela a lieu sous le regard du Directeur de Théâtre, qui voit que la scène redonne à ses personnages du sang frais, afin qu’ils puissent être des victimes coupables chez les vivants plutôt que de pâles héros chez les morts.

Pascale Arguedas /Éditions Avant Scène et Gallimard "Folio".


mise en scène Klaus Michaël Grüber


mise en scène Klaus Michaël Grüber